Bibliothèques indépendantes à Cuba : une vision objective?
Ajoutez un commentaire 28 avril 2006
Il y a quelque temps, une bibliothécaire lança sur une liste de diffusion un article consacré aux bibliothèques indépendantes à Cuba. Je ne m’étendrai pas sur l’auteur de celui-ci, S.Lamrani, “spécialiste” de Cuba mais pas des bibliothèques. Ce qui est intéressant à mon avis, ce sont les deux visions du rôle des bibliothèques, mais plus amplement du droit et de l’accès à l’information, indépendamment du contenu.
D’une part il y a ceux qui pensent que tout le monde doit avoir accès à tout type d’information et de littérature, d’une autre ceux qui considèrent d’abord la “sécurité nationale”, la “stabilité de l’état” même si ce n’est pas le leur. Encore plus étrange quand ceux qui prônent la liberté tournent casaque s’agissant d’un pays en particulier, et applaudissent ce qu’ils n’accepteraient pas chez eux. Ceci va pour les deux “experts” de l’ALA qui ont visité 2 bibliothèques indépendantes à l’orient du pays et ont par la suite formulé un jugement général.
Il est vrai, la plupart des responsables des bibliothèques indépendantes n’ont pas un diplôme de bibliothécaire (ils ne pourraient pas être membres de l’AGBD, par exemple). Ceci invalide leurs compétences en gestion, leur culture générale? On y trouve des psychologes, des ingénieurs, des docteurs en économie (un peu comme les responsables suprêmes de certaines de nos bibliothèques). On y trouve aussi des personnes moins compétentes, il est certain. C’est vrai, parmi les plus de 80 bibliothèques indépendantes de Cuba, il y en qui donnent à la (douteuse) politique une plus grande place de ce qu’elles devraient. Cela bannit le travail de diffusion de autres, qui donnent l’accès à des écrivains qu’on ne trouve pas dans les “vraies” bibliothèques (ou bien accessibles seulement à ceux qui possèdent une autorisation spéciale)? Exemples parmi d’autres: Milan Kundera, Vaclav Havel, Zoe Valdés (quoique cette dernière…). Pour éviter des confusions : les bibliothécaires cubains diplômés et officiels sont en général très compétent-e-s. Mais ils n’habitent pas sur la lune.
Pour parler des dénommées bibliothèques indépendantes il faudrait les situer dans une perspective historique et discerner leur rôle, au délà du clivage “bonne ou vraie” bibliothèque et “fausse bibliothèque”. Il faudrait, par exemple, faire un rapprochement avec les cabinets et sociétés de lecture qui poussaient comme des champignons au XVIII et XIX siècles en Europe (en en France en particulier). Comment étaient-ils perçus? Je me permets cette citation:
Il était facile alors de franchir le pas séparant le cabinet d’un lieu dangereux à surveiller. Le préfet de police Delavau ne s’y était pas trompé, qui affirmait dans un rapport au ministre de l’intérieur : « Les cabinets de lecture tendent également à populariser la lecture d’ouvrages les plus propres à corrompre le cœur et à pervertir l’esprit ». [F. Saby sur le livre de Françoise Parent-Lardeur, Lire à Paris au temps de Balzac: les cabinets de lecture à Paris 1815-1830,Paris, Ed de l’ecole des hautes études en sciences sociales, 1999]
Le rapport du Préfet Delavau était daté du 26 mars 1826. Il aurait pu l’être dans une jolie ville des Caraïbes en 2006.
Mais soyons objectifs, menons une démarche “scientifique” :
- Puisque l’adresse de l’article contre les bibliothèques indépendantes a été, en tout droit, diffusée, voici l’adresse du site des bibliothèques indépendantes : http://www.bibliocuba.org. Noms, mission, adresses.
- Pour ceux qui qui voudraient se conforter dans leur dénigrement, l’adresse du journal officiel du parti : http://www.granma.cu.
Et, pour finir, pourquoi ne pas organiser un voyage d’étude (la contrée est magnifique)? On apporterait quelques cartons des livres, dont une vingtaine d’auteurs “non recommandables”. Je parle de vrais auteurs, pas de mauvais pamphletistes de quelque bord que ce soit (moi y compris). On amènerait les cartons à double : on offrirait la moitié à des bibliothèques d’état, et l’autre, son miroir, à des bibliothèques indépendantes. On retourerait au bout d’un an (la contrée est magnifique), et on verrait combien de ces livres restent en libre accès (et ici je veux dire accessibles à tous) dans les unes et les autres. Pourvu que “les autres” soient encore là.
Bonne soirée.