23 décembre 2006
A l’approche de Noël, loin des débats linguistico - professionnels locaux, voici un petit délire verbal … joyeuses fêtes!
L’araignée-moustique
L’araignée-moustique tisse son propre linceul. Délicatesse du suicide, elle volera jusqu’au festin involontaire, dégustera le sadisme subtil de l’invisibilité.
L’araignée-moustique, repue et oublieuse, fera l’amour avec lui-même, se laissera piéger par son chef-d’œuvre, périra dans une danse schizophrène.
La fourmigale
Une fourmi à tête de cigale peut être horriblement dangereuse. Tout d’abord pour elle-même : cette travailleuse infatigable à mine de fainéante se déchire à la tâche pour changer le rendu du miroir. A force de sueurs inutiles, elle devient hargneuse, inconstante : une mélodie de peur s’étale dans sa fourmilière. La température monte dans son grenier, fait croustiller le grain, transforme son dard en diamant. Elle dévore ses réserves, grossit autant que son agressivité, son venin est imparable. Des souris, des cafards et même des oisillons insouciants en font les frais : rien n’arrête la faim de vengeance de la fourmigale.
Des flammes s’élèvent de toute cette énergie, la terre grésille avec un air de violon, la mutation dégage des astres maléfiques.
Elle ne bouge plus maintenant, mais son visage est marqué par l’effort. Elle étale ses huit pattes, bouche d’un caillou l’entrée de sa tanière.
Et, tel un Néron jusqu’au-boutiste, elle rôtit avec son poison dans le théâtre de sa haine.
Le cochon-fleur
Ses pétales de chair appétissante s’étalent sur la pourriture. Transpiration de graisse parfumée, vocation d’abattoir. Il aimerait trôner sur une boutonnière, se faner avec nonchalance dans un vase de Chine à l’eau jaunâtre. Ses effluves attirent des guêpes malveillantes, les léopards des prairies affûtent leurs couteaux. Des mains taillées à la lessive le cueilleront sans tendresse, le sécheront dans une cave jusqu’au festin de la nuit. Point de langage chiffré pour la demoiselle, point de langage d’amour. Mais frénésie des dents, orgie gourmande, crépitement de pistils dans la poêle de l’horreur.
B.D.
3 décembre 2006
Lu il y a quelque temps dans un “journal” gratuit : au Japon, un nouveau jeu télévisé “hilarant” : les participants sont soumis à des tortures et autres misères “rigolotes” devant les caméras. Le piquant : il est interdit de rire ou de crier car, comble de l’originalité, le jeu se déroule dans une bibliothèque et le règlement de celle-ci impose le silence. Ce merveilleux spectacle télévisuel se nomme d’ailleurs “Silent Library”. Le respect à outrance des règles (très cliché nippon) est source de malaise car la moelle de l’institution : la transmission du savoir, de la culture, est tournée en (muette) dérision - même s’il semble que la bibliothèque en question soit fictive.
Pas autre chose font tous ceux que considèrent le livre comme objet purement décoratif. Des salons feutrés arborent des étagères vénérables ou les volumes bâillent de savoirs ignorés, pour le plus grand prestige du propriétaire. Il y en a qui se permettent même d’engager un bibliothécaire, élément négligeable mais ô combien chic du décor.
La bibliothèque est aussi source d’inspiration pour des nombreux auteurs, et dans leurs histoires, comme dans la réalité, est elle souvent associée au feu et à l’eau. Inondations et incendies : belle et consternante image que celle des volumes tordus de douleur sur les flammes, se désagrégeant dans le tourbillon qui les emporte. Ces manuscrits qui « ne brûlent pas » selon Boulgakov (Le Maître et Marguerite) se font un – ardent - plaisir de le contredire dans Le nom de la rose.
Métaphore et allégorie de la forêt, la bibliothèque peut couver des romances, héberger des anges, servir de grotte où se cachent l’horreur, la passion et l’imprévisible.
Bibliothèque refuge, bibliothèque instrument. Mervin Peak, dans sa Trilogie de Gormenghast lui concède une place centrale. Dans le mystérieux et vétuste château, elle est tour à tour dépôt de la tradition, refuge du Comte, piège et instrument du mal. Finelame, étrange et effroyable personnage, “dont l’intelligence n’a d’égal que l’ambition” dirait le lieu commun, décide, par parvenir à ses fins de domination, d’incendier la bibliothèque du Comte, avec toute la famille royale + fidèles vassaux dedans. Pourtant il aime les livres, pour leur beauté et pour les informations utiles qu’ils véhiculent. Mais le désir de pouvoir est plus fort. Ainsi l’amour de la beauté et de la connaissance est anéanti par la soif de puissance, et le lieu de savoir est offert en holocauste à cette dernière avec son contenant humain.
Lieu de passion, même quand il est utilisé pour des desseins malsains. Alors comment ne pas se sentir mal à l’aise quand on constate que pour un certain (et malheureusement croissant) nombre de bibliothécaires, le lieu de travail – le métier - devient gagne-pain sans âme, où il faut tenir le temps de finir la journée et recevoir le salaire à la fin du mois ? L’ère du bibliothécaire érudit est certes – du moins partiellement – révolue, celle de l’archidocuthécaire 2.0 pointe timidement. Dans notre époque charnière, où la déesse productivité est adorée même chez les gardiens de l’esprit, les bibliothécaires sont de plus en plus atteint-e-s du “syndrome du 4ème de couverture”. Un rapide coup d’œil à la table de matières, on regarde le dos et voilà le travail, l’indexation est faite. Ecoeuré-e-s, fatigué-e-s, ils / elles ont de plus en plus de mal, en arrivant chez eux /elles, à se plonger vraiment dans la lecture d’un livre. Dans leur lieu de travail ceci leur est interdit, il faut « produire » des notices, de l’accueil, des bibliographies. Qu’attendent les autorités de tutelle, les organismes dirigeants, pour offrir aux professionnels du temps de lecture, d’épanouissement culturel, en le considérant comme du temps de travail, ce qu’il est vraiment ? Qu’attendent les défenseurs de la profession pour monter au créneau en l’exigeant ?
Car si un jour, chez quelqu’un, l’écoeurement devient colère, des flammes malheureuses risquent à nouveau de s’élever.