Que deviendrions-nous sans les ‘Barbares’?
21 décembre 2009
Dans la pièce de Boris Vian “Les Bâtisseurs d’Empire” on trouve un étrange personnage, le Schmürz, souffre-douleur par excellence, réceptacle de la colère et de la frustration des autres. Les autres, qui, au fur et à mesure que leur univers se réduit, se décompose, versent sur la pauvre victime leurs envies de destruction. Il y a toujours un Schmürz. Il change de couleur, de religion, de nom. Mais il est toujours là, valve d’échappement des sociétés à la dérive. Ainsi, à l’approche des fêtes, j’ai trouvé intéressant d’accompagner cette ébauche de post d’un poème de Cavafis, que, je ne sais pas pourquoi, j’associe avec le Schmürz.
EN ATTENDANT LES BARBARES
Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora?
On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.
Pourquoi cette léthargie, au Sénat?
Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui.
À quoi bon faire des lois à présent?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.
Pourquoi notre empereur s’est-il levé si tôt?
Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville,
solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que notre empereur attend d’accueillir
leur chef. Il a même préparé un parchemin
à lui remettre, où sont conférés
nombreux titres et nombreuses dignités.
Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils
sortis aujourd’hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées?
Pourquoi ces bracelets sertis d’améthystes,
ces bagues où étincellent des émeraudes polies?
Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses
finement ciselées d’or et d’argent?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que pareilles choses éblouissent les Barbares.
Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas à l’ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que l’éloquence et les harangues les ennuient.
Pourquoi ce trouble, cette subite
inquiétude? - Comme les visages sont graves!
Pourquoi places et rues si vite désertées?
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux?
Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières
disent qu’il n’y a plus de Barbares.
Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares?
Ces gens étaient en somme une solution.
C. Cavafis
Articles : Lectures, Société, culture,
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