L’esprit gramophone et les vertus de l’épuisement
6 septembre 2010
En relisant Kafka, Orwell et la(s) presse quotidienne
Quatre légendes nous rapportent l’histoire de Prométhée : selon la première, il fut enchaîné sur le Caucase parce qu’il avait trahi les dieux pour les hommes, et les dieux lui envoyèrent des aigles, qui lui dévorèrent son foie toujours renaissant.
L’immunité des civils, qui est une des choses qui a rendu la guerre possible, a définitivement volé en éclats… Je ne le regrette pas. Je ne peux concevoir que la guerre soit «humanisée» quand le massacre se limite aux jeunes hommes et qu’elle soit «barbare» quand les vieux meurent aussi.
Selon la deuxième, Prométhée, fuyant dans sa douleur les becs qui le déchiquetaient, s’enfonça de plus en plus profondément à l’intérieur du rocher jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui.
Comme beaucoup de gens dans ce pays, je commence à être las de toutes ces bombes. Mais je m’élève contre l’hypocrisie qui consiste à accepter la force comme instrument tout en poussant des cris d’orfraie face à l’usage de telle ou telle arme particulière; et aussi contre l’hypocrisie qui consiste à dénoncer la guerre tout en souhaitant préserver le type de société qui la rend inévitable.
Selon la troisième, sa trahison fut oubliée au cours des millénaires : les dieux oublièrent, les aigles oublièrent, lui-même oublia.
Le véritable ennemi c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment.
Selon la quatrième, tout le monde se lassa de l’absurde histoire. Les dieux s’en lassèrent, les aigles s’en lassèrent et, fatiguée, la plaie même se referma.
Extraits de F. Kafka, Prométhée et G. Orwell, A ma guise : chroniques 1943-1947
Articles : Lectures
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